Explication de texte (filières générales) : "l'essence de la philosophie c'est la recherche de la vérité" Karl Jaspers
Publié le 24 Septembre 2022
- Expliquer un texte philosophique c'est comme analyser méticuleusement une scène de crime : il s'agit de faire parler les indices afin de retrouver le bon coupable et éviter une erreur judiciaire. Il s'agit donc d'être méthodique et rigoureux et de rester objectif : ce qui guide l'enquêteur c'est toujours la recherche de la vérité.
La méthode
I. Le texte est suivi d'une consigne posant les objectifs de l'exercice :
Pour réussir l'exercice il s'agit d'abord de comprendre les objectifs de l'exercice.
"La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question."
1°) "La connaissance de l'auteur n'est pas requise" : On n'attend pas d'un candidat qu'il soit un spécialiste ou un expert et qu'il connaisse parfaitement la pensée d'un auteur. Il ne s'agit pas ici de faire un travail d'historien de la philosophie.
2°) Il s'agit de rendre compte "du problème dont il est question : Il s'agit de dégager le problème soulevé par le texte, et de montrer à l'aide des éléments du texte, "par leur compréhension précise", comment l'auteur développe et résout ce problème (c'est-à-dire mettre en lumière la thèse qui va être défendue par l'auteur et les arguments qui soutiennent cette thèse).
Généralement ce problème et la thèse qui lui correspond, se rattachent à un problème plus large qui a été abordé dans un chapitre du cours. Il est donc demandé au candidat de faire le lien entre le texte et ses connaissances et de montrer comment elles peuvent éclairer le texte.
L'exercice se compose donc :
- d'une explication détaillée du texte dans laquelle le candidat montre qu'il a parfaitement compris le texte.
- d'une discussion de la thèse de l'auteur dans laquelle le candidat montre qu'il est capable de prendre du recul par rapport au texte en s'appuyant sur sa culture philosophique. Cette discussion peut développer la thèse de l'auteur ou la remettre en question.
Méthode : Lors de la première lecture il nous faut dégager :
- (1) Le thème ( de quoi par le thème en général indépendamment du point de vue de l'auteur. Il n'y a qu'un seul thème principal par texte)
- (2) La question ou le problème soulevé par le texte (la question porte sur le thème)
- (3) La thèse du texte (la thèse est la réponse à la question posée)
- (4) Le plan du texte (les étapes de l'argumentation)
Tous ces éléments seront utiles pour rédiger l'introduction.
L'objectif de l'introduction est de présenter l'explication de texte. Il faut donc présenter synthétiquement la thèse et la structure générale du texte et annoncer la discussion à venir.
- (5) L'annonce de la discussion : la discussion porte généralement sur la thèse du texte. Elle permet de montrer que l'on est capable de prendre du recul par rapport au texte.
Corrigé de l’introduction
Comment définir aujourd'hui la philosophie ? (1) (2). Pour Karl Jaspers "l’essence de la philosophie c’est la recherche de la vérité" (3). Son argumentation se divise en trois parties (4) : Dans la première partie (lignes 1 à 3) Karl Jaspers définit ce qu’est un philosophe au sens étymologique du terme, pour en déduire dans la deuxième partie (lignes 3 à 7) la thèse du texte. Cette définition de la philosophie nous permet alors de comprendre dans la troisième partie (lignes 7 à 10) l’importance du questionnement en philosophie.
Mais si la philosophie est par définition quête et non possession de la vérité, il nous faut alors nous demander si cette vérité n’est pas un idéal inaccessible à atteindre et s’il n’y a pas un risque pour le philosophe de se retrouver condamné au scepticisme ? (5)
Remarque : on pouvait aussi en utilisant la définition étymologique du mot philosophie remarquer que K. Jaspers se limitait à une définition théorique de la philosophie et laissait dans cet extrait, de côté, sa dimension pratique : la philosophie ce n'est pas seulement la recherche de la vérité, c'est aussi la recherche de la sagesse, du bonheur, de la justice. Ce n'est pas le parti que j'ai choisi puisque mon explication de la troisième partie du texte ouvre sur la dimension pratique.
Explication détaillée du texte
L'explication détaillée est linéaire. Elle soit strictement l'ordre d'exposition des idées. Le texte est un texte argumentatif l'ordre des arguments a son importance.
Phrase 1 - Le mot grec « philosophe » (philosophos) est formé par opposition à sophos.
Dans la première phrase du texte, Karl Jaspers se propose de définir ce qu’est un philosophe. Pour cela il se base sur l’étymologie grecque du mot, « philosophos », qu’il oppose paradoxalement à un mot qui semble pourtant de la même famille, « sophos », lequel désigne le savant. Si K. Jaspers éprouve le besoin de se référer à l'étymologie grecque du mot philosophie c'est d'une part pour revendiquer un héritage et insister sur le fait que sa conception personnelle de la philosophie s'enracine dans la tradition antique ; d'autre part, préciser le terme grec des mots philosophos et sophos, lui permet de montrer que contrairement aux apparences ( ces deux mots semblent être de la même famille, ce qui tendrait à nous laisser qu'ils ont un sens commun, ) ces deux mots renvoient à deux choses radicalement distinctes. Autrement dit, entre le philosophos et le sophos, ce n'est pas d'une différence de degré dont il s'agit, mais d'une différence de nature. En quoi consiste-t-elle ?
Phrase 2 - Il désigne celui qui aime le savoir, par différence avec celui qui possédant le savoir, se nomme savant.
La deuxième phrase précise alors le contenu de cette opposition [1]. Karl Jaspers reprend ici la définition platonicienne du philosophe : le philosophe, c’est celui qui « aime le savoir », qui le désire parce qu’il ne le possède pas, se distinguant ainsi du savant qui lui possède le savoir et donc ne le désire pas. Mais alors, cela voudrait-il dire que si le philosophe n'est pas savant, il est par conséquent un ignorant ? Par définition l’ignorant ne possède aucun savoir, il ne sait rien. Il ne sait tellement rien, qu'il ne sait même pas qu’il est ignorant. Mais L’ignorant n’est pas philosophe car ne connaissant pas son ignorance il se pense savant, et comme le savant, il ne recherche pas la vérité. Le philosophe n’est donc ni un ignorant, ni un savant. Il est, comme le montre Platon dans Le Banquet, à mi-chemin entre les deux. Par conséquent le philosophe se définit dans un rapport particulier au savoir : il est celui qui peut désirer savoir car, comme Socrate, il ne sait qu’une chose, c’est qu’il ne sait pas. Pour chercher la vérité, il faut, dans un premier temps, reconnaître que l'on ne sait pas.
Concrètement, le philosophe c’est celui qui accepte de n’avoir aucune certitude, de ne rien considérer, comme évident, comme donné ou comme vrai. Comme l’écrivait Aristote, le philosophe s'étonne. C’est de cet étonnement premier que naît le désir de savoir, que naît la philosophie.
Phrase 3 – Ce sens persiste encore aujourd’hui : l’essence de la philosophie, c’est la recherche de la vérité, non sa possession, même si elle se trahit elle-même, comme il arrive souvent jusqu’à dégénérer en dogmatisme, en un savoir mis en formule, définitif, complet, transmissible par l’enseignement.
La philosophie se définit donc comme « la recherche de la vérité et non sa possession ». Si Karl Jaspers éprouve le besoin de le rappeler c’est qu’aujourd’hui, rien n’est moins évident. Son propos dans ce texte est en fait, d’opérer une critique de ce qu’est la philosophie aujourd’hui. D’une part dans nos sociétés contemporaines, la philosophie est devenue pour une très large part, une pratique institutionnelle, un enseignement dogmatique délivré au lycée ou à l’université. Comme l’écrivait déjà David Thoreau au XIX° siècle, dans son Journal, « Aujourd’hui il n’y a plus de philosophes, il n’y a que des professeurs de philosophie ». D’autre part notre société a tendance à pense que seules les sciences ont leur mot à dire en matière de vérité et, malheureusement, même la philosophie n’échappe pas à cette tendance en ayant la prétention de pouvoir se construire sur le modèle de la science.
La philosophie se présente alors souvent sous la forme d’un savoir figé, transmissible, que l’on se contente d’apprendre ou de posséder. C’est là pour Karl Jasper une véritable « trahison », une négation de l’essence même de la philosophie qui ne doit pas être dogmatique mais critique ; philosopher c’est penser par soi-même, cela suppose dans un premier temps d'examiner la valeur de ses propres opinions, croyances, convictions savoirs, en faisant l' usage de sa raison. Connaître c'est être ainsi capable de rendre raison de ses opinions, de les fonder, de les justifier, ce n’est pas simplement apprendre docilement un savoir déjà constitué par d’autres. Or dans notre société la philosophie tend à n'être pour nous plus que la possession d’un savoir, elle est devenue dogmatique, elle "ne pense plus". Si Karl Jaspers fait un tel constat c’est pour nous inviter à revenir au sens originel de l’activité philosophique, c’est pour nous inviter à penser à nouveau, nous inviter à nous étonner, à ne tenir rien pour certain ou évident.
Phrase 4 – Faire de la philosophie c’est être en route.
Philosopher c’est être en toujours en mouvement, c’est voyager. Le propre de l'exercice de la pensée c'est sa vitalité. Mais cette métaphore indique que pour Karl Jaspers la philosophie a aussi une dimension existentielle dans le sens où elle ne se limite pas à un simple exercice théorique ou spéculatif, mais elle est aussi une pratique qui engage le philosophe dans son tout être. On retrouve à nouveau le sens originel, grec, de la philosophie. De la même façon que tout voyage possède une dimension initiatique qui transforme le voyageur au plus profond de lui-même, le travail de la pensée transforme le regard du philosophe sur le monde et le regard qu’il a sur lui-même, et par voie de conséquence le transforme intérieurement. Cette conversion du regard et l'être transforme sa manière d’être au monde. Aussi philosopher, dans la tradition antique, c’est avant tout vivre en philosophe. (On peut faire ici un parallèle avec la formation du prisonnier libéré dans l'Allégorie de la caverne de Platon)
Phrase 5 – Les questions en philosophie sont plus essentielles que les réponses.
Nous pouvons alors mesurer l’importance du questionnement dans le travail de la pensée. Philosopher c’est « désirer le savoir », par conséquent accepter de ne pas savoir. Le philosophe refusera donc ce qui est donné : les certitudes, les évidences, les préjugés. Il sera toujours d’abord dans le questionnement de ce qu’il pense savoir. Penser c'est d'abord penser contre soi. C'est ce questionnement permanent qui donne son mouvement à la pensée. La philosophie se définit donc non pas par sa capacité de répondre, de produire des connaissances achevées et définitives, mais par un certain un rapport au savoir qui consiste dans une mise en question permanente de ce que l'on pense savoir. Questionner ce n’est pas simplement adopter une méthode dans le but de produire des connaissances théoriques, c’est avant tout adopter une position existentielle : la philosophie est une pratique, une manière d’être au monde. C'est pour cela qu'en philosophie les questions sont plus "essentielles" que les réponses. Elles sont le coeur, l'identité de la pratique philosophique.
[1] Je veille à construire des liens entre les différentes phrases ou les différentes parties du texte. Il est très important de ne pas oublier de mettre en lumière la cohérence d’ensemble du texte.