Explication de texte (filières technologiques) : " L'essence de la philosophie c'est la recherche de la vérité", Karl Jaspers
Publié le 8 Octobre 2016
- La méthode de l’explication de texte
- Définir la philosophie
Le mot grec « philosophe » (philosophos) est formé par opposition à sophos [1]. Il désigne celui qui aime le savoir par différence avec celui qui possédant le savoir, se nomme savant. Ce sens persiste encore aujourd’hui : l’essence de la philosophie, c’est la recherche de la vérité, non sa possession même si elle se trahit elle-même, comme il arrive souvent jusqu’à dégénérer en dogmatisme[2], en un savoir mis en formules, définitif, complet, transmissible par l’enseignement. Faire de la philosophie c’est être en route. Les questions en philosophie sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question.
Karl JASPERS
[1] Sophos : savant
[2] Dogmatisme : attitude de l’esprit par laquelle on s’attache à un dogme ou à une doctrine établis par autorité. Par exemple on parle de dogme religieux.
Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble.
1. Dégagez l'idée principale du texte et montrez comment elle est établie.
2. Expliquez " Il désigne celui qui aime le savoir par différence avec celui qui possédant le savoir, se nomme savant".
3. Expliquez la métaphore : "Philosopher c'est être en route".
4. Pourquoi le dogmatisme trahit-il l'esprit philosophique ?
Correction
Répondre aux question permet de faire une explication détaillée des points les plus importants du texte. La dernière question est souvent une question de réflexion qui, s'appuyant sur la thèse du texte, invite le candidat à prendre du recul par rapport au texte.
Dans cet exercice nous nous limiterons à l'explication détaillée du texte, ayant pour l'instant peu d'éléments nous permettant de discuter le texte.
Pour répondre à la première question il faut dégager :
- (1) Le thème (de quoi parle le texte en général indépendamment de la position de l'auteur)
- (2) Le problème posé par le texte (ce problème est formulé par une question qui porte sur le thème du texte)
- (3) La thèse (la thèse est la réponse à la question posée par le texte)
- (4) Le plan du texte (les étapes de de l'argumentation) :
- Il faut découper précisément le texte.
- Chaque partie est résumée par une phrase.
Correction
Question 1
Dans ce texte Karl Jaspers s'interroge sur ce qui définit la philosohie(1) (2). Selon lui "l'essence de la philosophie c'est la recherche de la vérité" (3). Dans une première partie (lignes 1 à 3) Karl Jaspers définit ce qu'est un philosophe en s'appuyant sur l'étymologie du mot, pour en déduire dans la deuxième partie (lignes 3 à 7) la thèse du texte. Cette définition de la philosophie nous permet alors de comprendre l'importance du questionnement en philosophie (4).
Question 2
Dans cette phrase, Karl Jaspers s'appuie sur l'étymologie grecque du mot philosophie (Philo - "aimer", prendre du plaisir à, désirer) pour définir ce qu'est un philosophe. Le philosophe (philosophos) c’est celui qui « aime le savoir », au sens où le désire parce qu’il ne le possède pas. Il se distingue du savant (sophos) qui lui possède le savoir et par conséquent ne recherche pas la vérité.
Si le philosophe manque de savoir, est-ce que cela veut dire que le philosophe se définit comme un ignorant ? L’ignorant par définition c'est celui qui ne possède aucun savoir, qui ne sait rien, à tel point qu'il ne sait même pas qu’il est ignorant. Par conséquent l'ignorant c'est celui qui se pense savant. Ainsi pas davantage que le savant, l’ignorant ne désire le savoir. L’ignorant n’est donc pas philosophe.
On peut donc en conclure que le philosophe n’est ni un ignorant, ni un savant. Il est, comme le montre Platon dans Le Banquet, à mi-chemin entre les deux. En effet ce qui définit le philosophe c'est un rapport particulier au savoir : il est celui qui désire savoir car, comme Socrate, il ne sait qu’une chose, c’est qu’il ne sait pas.
Le philosophe c’est donc concrètement celui qui n' accepte aucune certitude, qui ne considère rien comme évident, comme donné ou comme vrai.
Comme l’écrivait Aristote « philosopher, c’est s’étonner ». C’est de cet étonnement primordial que naît le désir de savoir.
Question 3
Philosopher c’est « désirer le savoir », par conséquent accepter de ne pas savoir. Le philosophe refusera donc ce qui est donné : les certitudes, les évidences, les préjugés. Il sera d’abord dans le questionnement de ce qu’il pense savoir. La philosophie se définit donc non pas par sa capacité de répondre, de produire des connaissances achevées et définitives, mais par un certain un rapport au savoir qui consiste dans une mise en question permanente de ce savoir. Le philosophe chemine donc intellectuellement. Penser est une construction permanente, toutes les réponses trouvées ne sont jamais définitives, elles doivent toujours être remises en chantier.
Philosopher c’est être en toujours en mouvement, c’est voyager. Mais la philosophie n'est pas qu'une activité théorique, elle est aussi une pratique qui engage le philosophe dans son tout être. On retrouve à nouveau le sens originel, grec, de la philosophie comme amour du savoir et de la sagesse. Ainsi, de la même façon que tout voyage possède une dimension initiatique qui transforme le voyageur au plus profond de lui-même, le travail de la pensée transforme le regard du philosophe sur le monde et le regard qu’il a sur lui-même. Cette conversion du regard transforme sa manière d’être au monde. Ainsi philosopher c’est avant tout vivre en philosophe.
Question 3
La philosophie se définit donc comme « la recherche de la vérité et non sa possession ». Si Karl Jaspers éprouve le besoin de le rappeler, c’est qu’aujourd’hui rien n’est moins évident. Dans nos sociétés contemporaines, la philosophie se présente pour une très large part, comme une pratique institutionnelle, un enseignement délivré au lycée ou à l’université sous la forme d’un savoir figé, transmissible, que l’on se contente d’apprendre ou de posséder.
C’est pour Karl Jasper une véritable « trahison », une négation de l’essence même de la philosophie. Philosopher c’est penser par soi-même : c’est construire le savoir en faisant usage de sa raison. Ce n’est pas apprendre un savoir déjà constitué par d’autres.
Or la philosophie qui n’est plus pour nous que possession d’un savoir, est devenue dogmatique : elle ne pense plus.
Si Karl Jaspers fait un tel constat c’est pour nous inviter à revenir au sens originel de l’activité philosophique, c’est pour nous inviter à nous étonner, à ne tenir rien pour certain ou évident. C’est pour nous inviter à penser.