[ HLP] Le musée : l'universel face à la décolonisation (ch. La violence dans l'histoire)
Publié le 17 Novembre 2021
L'humanité en question : Histoire et violence
Le musée : l'universel face à la décolonisation
Plan de la séquence :
1) Sortie au théâtre : Les restes suprêmes de Dorcy Rugamba
En plein débat sur la restitution du patrimoine africain, à l’heure où la France s’apprête à restituer quelques œuvres aux Etats africains, un homme s’introduit dans un musée européen pour s’adresser aux visiteurs et aux masques funéraires exposés dans une allée.
S’ils prenaient la parole, que nous diraient les masques africains exposés dans les Musées « ethnographiques » européens ? Dans les années 50, dans le film « Les statues meurent aussi » Chris Marker et Alain Renais posaient cette question qui résonne encore aujourd’hui « Pourquoi l’Art Nègre se trouve-t-il au Musée de l’Homme alors que « l’Art Grec » et Égyptien se trouvent au Louvre ? »
Ce projet a pour but de questionner le rôle que joue l’art africain dans la construction d’une vision euro-centrée du monde. Nous voulons interroger la nécessité de ces masques dans les différents rituels et mises en scène auxquels ils sont et ont été associés au cours du temps.
Ecriture et Mise en scène : Dorcy Rugamba
Avec Nathalie Vairac et Dorcy Rugamba
Scénographie et Vidéo : Matt Deely
Création lumière
Une création de Rwanda Arts Initiative (Rwanda)
coproduite avec la compagnie de La Lune Nouvelle (Senegal)
2) Visionnage du documentaire, les statues meurent aussi, d'A. Renais et C. Marker
Exercice : dégager le thème, le problème , la thèse et les étapes de l'argumentation du film
"Pourquoi l'Art nègre se trouve-t-il au Musée de l'homme alors que l'Art Grec et Egyptien se trouvent au Louvre ?"
3) Rédaction d'un essais synthétisant les éléments de discussion apporté en cours (voir documents ci-dessous)
Préparation au GRAND ORAL : En vous appuyant sur l'actualité et sur vos connaissances, vous répondrez à la question suivante :
Le musée, lieu de conservation, peut-il devenir un lieu de conversation entre les cultures ?
4) Exercice type bac : texte de littérature - essai philosophique (A venir)
Pour réfléchir :
[...] on pille les Nègres, sous prétexte d’apprendre aux gens à les connaître et les aimer, c’est-à-dire, en fin de compte, à former d’autres ethnographes, qui iront eux
aussi les “aimer” et les piller.
Qui vole un boeuf n’a que faire d’un oeuf (proverbe corse)
Comment les Européens ont-ils obtenu les artefacts africains ? Comme tout objet, les artefacts africains s’obtiennent par le don, l’échange, l’achat ou le vol (à main armée souvent). Quand on considère que la plupart des objets africains qui se trouvent dans les musées européens ont été accumulés pendant l’époque coloniale, on peut aisément exclure le don, l’échange et l’achat comme procédures utilisées par les Européens pour obtenir les objets qui meublent leurs musées. Parler ainsi du vol d’artefacts, dans le contexte des relations historiques entre Européens et Africains, est une banalité, car après tout, « Qui vole un boeuf n’a que faire d’un œuf ! ». Dans la relation de l’Europe coloniale et néo-coloniale à l’Afrique, le vol n’est pas seulement un procédé efficace d’accumulation de biens matériels mais c’est aussi une manière européenne d’être dans ces territoires où tout est à prendre. Ainsi, l’histoire des Européens en Afrique est ponctuée par les exactions d’une série de voleurs, petits ou grands, brutaux ou doux, cyniques ou poètes, etc. La plus « belle » histoire de vol d’objets africains reste celle du « vol du Kono » de Kéméni en 1931. C’est une version ethnologique d’un « vol à l’étalage », avec profanation de lieux de culte et association de malfaiteurs, commis par des personnages emblématiques de l’histoire de l’ethnologie européenne. Michel Leiris, dans L’Afrique fantôme, raconte comment, avec Marcel Griaule, ils se sont introduits, contre la volonté des villageois, dans la case rituelle du Kono (un masque sacrificiel) et comment ils ont volé des objets du culte sous le regard des villageois ébahis :
« Griaule et moi demandons que les hommes aillent chercher le Kono. Tout le monde refusant, nous y allons nous-mêmes, emballons l’objet saint dans la bâche et sortons comme des voleurs, cependant que le chef affolé s’enfuit.[...] Nous traversons le village, devenu complètement désert et, dans un silence de mort, nous arrivons aux véhicules.[...] Les 10 francs sont donnés au chef et nous partons en hâte, au milieu de l’ébahissement général et parés d’une auréole de démons ou de salauds particulièrement puissants et osés ». (1)
Le lendemain de cette journée du 6 septembre 1931, Leiris récidive avec un autre compagnon de la Mission Dakar Djibouti, Eric Lutten :
« Avant de quitter Dyabougou, visite du village et enlèvement du deuxième kono, que Griaule a repéré en s’introduisant subrepticement dans la case réservée. Cette fois, c’est Lutten et moi qui nous chargeons de l’opération. Mon cœur bat très fort car, depuis le scandale d’hier, je perçois avec plus d’acuité l’énormité de ce que nous commettons. De son couteau de chasse, Lutten détache le masque du costume garni de plumes auquel il est relié, me le passe, pour que je l’enveloppe dans la toile que nous avons apportée, et me donne aussi, sur ma demande − car il s’agit d’une des formes bizarres qui hier nous avait si fort intrigués − une sorte de cochon de lait, toujours en nougat brun (c’est-à-dire sang coagulé) qui pèse au moins 15 kilos et que j’emballe avec le masque. Le tout est rapidement sorti du village et nous regagnons les voitures par les champs. Lorsque nous partons, le chef veut rendre à Lutten les 20 francs que nous lui avons donnés. Lutten les lui laisse, naturellement. Mais ça n’en est pas moins moche. [...] Au village suivant, je repère une case de kono à porte en ruine, je la montre à Griaule et le coup est décidé. » (2)
Hassan Musa, Les fantômes d'Afrique dans les musées d'Europe, in Africultures, 2007, n°70
(1) (2) Michel Leiris, Le Miroir de l'Afrique, Galimard, 1996
Qui ne sait que faire dialogue avec les cultures (proverbe turc)
Cependant les choses ne sont pas si noires que ça ! En effet, depuis quelques années, certains se posent des questions sur la fonction du musée et sur la portée de l’ethnologie à la lumière de la globalisation libérale et de ses implications culturelles. Le propos même de ce colloque, qui m’invitait, en tant qu’artiste africain, à réfléchir sur l’avenir des objets africains dans les musées européens, s’inscrit dans une démarche critique dont la finalité est de définir une orientation éthique pour se positionner par rapport à la production culturelle des Africains. Une des conséquences du travail critique, accompli sur le terrain de l’ethno-muséologie, est que le musée ethnographique semble aujourd’hui partagé entre une approche esthétique ou anthropologique des objets. Lors du colloque sur l’avenir du musée colonial, organisé par le Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO) et le Centre Georges Pompidou en juin 1998, Cécil Guitart, archéologue, ethnologue et conservateur, trouve un intérêt à cette hésitation du musée entre esthétique et anthropologie, car cette situation « permet de transformer le musée en une institution en perpétuelle recherche. Un musée qui cherche !, dit-il, [est] Un musée qui doute ! » (1). Cette réflexion est représentative de l’attitude actuelle de l’institution muséale face aux mutations culturelles globalisantes. Les muséologues doutent, ou plutôt, ils sont missionnés par l’État pour exprimer une attitude politique nouvelle : le doute ! Un signal fort envoyé aux ex-colonisés pour les inciter à devenir des alliés dans la guerre contre la globalisation américaine. Le doute des ethno-muséologues les incite à déterrer les vieux « cadavres » pour les autopsier. Le fait que les musées européens réexaminent les objets africains est révélateur de l’inquiétude qui érode les certitudes identitaires sur soi-même ainsi que sur les autres. Le fait que, depuis quelques années, les Français luttent dans les instances du marché international pour défendre une « exception culturelle française », est révélateur du recul que les Français ont pris par rapport à leur propre production culturelle, en tant qu’objet nécessitant une protection face à l’hégémonie culturelle américaine qui domine le marché de la culture. Le concept d’« égalité entre les cultures » que les Français défendent contre l’hégémonie de la culture américaine est un outil idéologique d’une grande efficacité pour construire une coalition des cultures non américaines, voire anti-américaines. Coalition dont la finalité est de préserver sa part du marché plutôt que de préserver sa culture d’origine. Dans cette guerre des cultures contre les Américains, les alliances s’organisent autour des puissances européennes et chaque nation mobilise ses troupes. Dans ce contexte, l’idée de Jean-Hubert Martin, l’ ancien directeur du MAAO, que toutes les cultures se valent et que « chaque culture est exotique pour l’ autre » (2) est évaluée positivement par les instances des États européens. La nouvelle devise de la République française : « Liberté, Égalité et... (métissage) » est désormais transposable sur une échelle internationaliste, et les artistes de toutes les cultures sont invités à oublier les rancunes tiers-mondistes et à intégrer, en première ligne, la nouvelle coalition européenne our défendre l’utopie poly-culturelle anti-américaine.
Si on regarde la situation du côté des Africains, on constate qu’à travers l’histoire des grands conflits entre Européens, nous avons toujours été embarqués dans les guerres de nos colonisateurs, qui étaient, en effet, « des guerres de la civilisation » du capital. Aujourd’hui, à un moment de divergence d’intérêts entre Européens et Américains, les Africains sont sollicités, de part et d’autre, pour intégrer le camp d’un certain « bien » contre celui d’un « mal » certain. À ce propos, la brèche ouverte par Jean-Hubert Martin, grâce à des expositions emblématiques comme Les Magiciens de la Terre (1989) ou Partage d’ Exotisme (2000), semble séduire beaucoup de monde. Ce sont des manifestations politiques où l’esthétique est « remixée » à l’anthropologie et où le monde est ethnicisé à parts égales entre l’Afrique, l’Europe, l’Asie, les Amériques, etc. Dans sa préface des Actes du colloque de juin 1998 : du musée colonial au musée des cultures du monde, Germain Viatte, alors directeur du MAAO et Directeur du projet muséographique du Musée du quai Branly, constate que « La question posée par la diversité des cultures et leur histoire passée et présente apparaît de plus en plus essentielle et dominera désormais les débats intellectuels, l’évolution des institutions et les perspectives politiques. Le temps n’est plus à la morgue coloniale ni à la culpabilité tiers-mondiste mais à la mise en œuvre de nouveaux comportements intellectuels, sociaux et politiques » (3). Ces « nouveaux comportements » peuvent sauver le musée de l’impasse coloniale, jugée trop honteuse, tout en le sauvant du tiers-mondisme,considéré comme politiquement incorrect, voire ingérable, dans une France qui, selon Michel Rocard, Premier ministre socialiste dans les années 1980,
ne peut pas supporter la misère du monde ! Ainsi le nouveau comportement s’appelle « le dialogue entre les cultures ». Mais le « bon dialogue des cultures » nécessite, selon Cécil Guitart, de « nous dégager de la
situation dans laquelle l’homme blanc se sent coupable d’une faute que certains Africains tentent parfois de lui faire payer »(4) Si aujourd’hui, certains Européens, se sentent coupables de la misère post-coloniale des Africains, cette culpabilité s’expliquerait plutôt par les méfaits actuels que par le fait colonial, car les Européens qui ont colonisé l’Afrique ne sont plus dans le débat en cours. On peut dire la même chose pour de nombreux jeunes Africains qui se plaignent aujourd’hui d’un traumatisme colonial qu’ils n’ont vécu que par « emprunt » de la génération de leurs parents et grands-parents (5)
Je pense que la culpabilité des Européens et la complainte des Africains à propos du fait colonial expriment un malentendu anachronique délibérément entretenu de part et d’autre. C’est un malentendu dans lequel chaque partie trouve son intérêt. L’utilité de ce malentendu, pour les deux parties, consiste à oblitérer la complexité des liens actuels entre Européens et Africains. Cependant la culpabilité dite « tiers-mondiste » n’est pas seulement l’invention de « certains Africains » qui en veulent à « l’homme blanc » (6). Elle pourrait se révéler comme une attitude de complaisance politique bien partagée entre des personnes qui regardent dans la même direction alors que leurs intérêts divergent. D’une part, le « tiers-mondisme culpabilisé des Européens » − au-delà de l’effet « bonne conscience » − est une réaction morale (chrétienne) tout à fait saine contre l’état déplorable d’un monde sous le contrôle d’une minorité de privilégiés, mais cherche à se protéger contre les exclus, derrière des frontières artificielles, au risque même de provoquer une catastrophe morale globale. D’autre part, le tiers-mondisme culpabilisant des post-colonisés est l’expression d’un subtil abus de mémoire collective qui pousse les uns et les autres à partager les retombées malsaines d’un chantage affectif dont les bénéficiaires sont les entrepreneurs du business ethnique. Une des conséquences de ce partage tronqué est que des personnes, qui ne représentent qu’elles-mêmes, puissent s’ériger, dans l’ espace public, en « porte-parole » de certains groupes ethniques ou de certaines communautés religieuses, voire même d’une civilisation tout entière ! Ainsi la majorité des personnes qui se font exclure du débat sur le partage des biens du monde, ne peut que regarder avec suspicion le dit dialogue entre les cultures.
Hassan Musa, Les fantômes d'Afrique dans les musées d'Europe, in Africultures, 2007, n°70
(1) Cécil Guitart, Quel musée, pour quel dialogue des cultures ?, in Du musée colonial au musée des cultures du monde, Actes du colloque organisé par le Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie et le Centre Georges Pompidou, 3-6 juin 1998. Éd. MAAO, Maisonneuve et Larose, Paris, 2000, p. 197
(2) Voir Jean-Hubert Martin, Magiciens de la Terre, Paris, Éd. du Centre Georges Pompidou, 1989, p. 8. Voir également : J.H. Martin dans Le Monde, 25 juin 2000.
(3) Germain Viatte, op.cit, p.11.
(4) C.Guitart, ibid.
(5) Voir l’utilisation de la mémoire parentale sur le thème de la guerre d’Algérie chez Zeinab Sedera (Africa Remix), mais au-delà des actions des artistes africains, un intéressant cas d’ « emprunt » abusif est démontré par Patrick Minder dans son article La construction du colonisé dans une métropole sans empire, Le cas de la Suisse (1880-1939), in Zoos humains, Ed La découverte,Paris, 2002, p. 227.
(6) C. Guitart, opus cit, p. 198.
L’iconographie fait référence au tableau de Géricault «Le Radeau de la Méduse » (1819).
En 1999, Michel Rocard, alors premier ministre socialiste de la République Française, prononce la phrase suivante : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part. »,
Musa écrit en lettres gothiques cette phrase au bas du tableau et joue sur le double sens du mot « part », qui n’est pas seulement la part au sens de « partie » mais aussi la part au sens de « parenté » tel que ce 2ème sens figure dans le dictionnaire : « Du latin partus = enfanté) (Dictionnaire Le Petit Robert 1). Quand M. Rocard parlait de « part », il voulait dire que la France doit assumer sa part (sa partie) de responsabilité.
Le titre de l’oeuvre, « Confusion de part », est une ex pression juridique qui désigne la situation d’un enfant dont le père n’est pas identifié. Musa signifie que la France, c’est le parent qui nie sa paternité dans la misère qu’elle a elle même « enfanté » en Afrique par la colonisation et par les relations néo-coloniales qu’elle continue à imposer à ses anciennes colonies.
Les bons comptes font rarement des bons amis (mauvais proverbe bambara)
[...] Le problème commence avec cette idée étrange de passer des commandes aux « artistes originaires d’Afrique », ou à « des artistes de cultures africaines » afin qu’ils prennent en charge les objets africains des musées européens. Cette prise en charge qui devrait s’accomplir « dans une démarche artistique » pourrait prendre diverses formes : « de les intégrer dans des installations, de les laisser s’immiscer réellement ou métaphoriquement dans des œuvres d’art contemporaines », etc.
Quand je dis « cette idée étrange », je sais que cette position n’engage que peu de personnes, car l’idée de rendre aux Africains les objets que les Européens leur ont « pris » auparavant, semble − a priori − un geste tout à fait juste. Mais si on veut vraiment devenir « de bons amis », il ne faut pas se limiter aux objets africains dans les caves des musées ! Il faut tout rendre ! Tout : l’or, l’argent, le cuivre, le pétrole, le gaz naturel mais également : la liberté, la dignité, l’espoir et les rêves brisés. En réalité, personne n’est en mesure de rendre ce qui a été «pris », car à qui peut-on rendre des objets qui ont appartenu à des personnes, en majorité, disparues depuis plus d’un siècle. En revanche, si on veut réparer les méfaits de la colonisation, on pourrait partager l’ensemble des biens matériels et intellectuels de notre monde. Partager tout ici et maintenant ! Partageons entre vivants. tout ! C’est la meilleure sortie des cercles de la culpabilité d’ex-colonisateurs européens et des rancunes d’ex-colonisés africains dans lesquels le débat sur l’exclusion sociale semble s’enfermer.
En ce qui concerne les artistes contemporains dits « artistes africains », je pense que peu d’entre eux sont capables de contrarier un ethno-muséologue européen désirant leur confier le recel des objets africains. Ainsi, en ma qualité d’ artiste « tout court » et « d’origine africaine », je ne me sens pas plus que d’autres artistes propriétaire des objets africains conservés dans les musées européens. Pas plus que je ne me sens propriétaire des objets européens dans les musées européens. Je pense que ces objets dits « africains » n’appartiennent à personne, ou alors ils appartiennent à tous, y compris aux Africains, artistes ou pas. Le monde est un bien commun de l’humanité. Mais une idée aussi simple aura beaucoup de mal à se faire accepter dans un monde où une minorité de privilégiés est incapable de considérer le monde autrement que comme une propriété.
Qu’est ce qu’on fait de tous ces objets ? autres qu’africains ? qui encombrent les musées et qui, un jour, soulèveront la même question que celles que posent aujourd’hui les objets africains, aux muséologues ? Peut-être conviendrait-il de les laisser là où ils sont comme pièces à conviction pour un futur procès de « Vérité et Réconciliation » entre les peuples afin de réparer les dommages causés par la modernité du capital, non seulement en Afrique, mais dans le monde tout entier.
Hassan Musa, Les fantômes d'Afrique dans les musées d'Europe, in Africultures, 2007, n°70
Hassan Musa (né en 1951 au Soudan) est un artiste soudanais polymorphe qui se définit comme un « faiseur d’images » et travaille la peinture sur de grands morceaux de tissus assemblés ; mais il est aussi calligraphe, graveur et illustrateur de livres pour enfants. Il compose ses œuvres à partir d’agencements de pièces de tissus dénichées dans les marchés du monde, aussi bien au Kenya qu’en France, afin de donner vie à des ouvrages baroques constitués d’emprunts à l’histoire de l’art occidental, à la calligraphie, avec des messages, des drapeaux… et un fort contenu sociopolitique. Il travaille sur de grandes toiles libres, des combinaisons de patchworks ethnographiques cousus et peints, des assemblages de dalmatiques brodés d’un nouveau genre...
Le savoir de soi-même c'est le début de l'avenir.
Les captations patrimoniales : un crime contre les peuples
La prise et le transfert d’objets d’art, de culte ou de simple usage accompagnent les projets d’empire depuis l’Antiquité. Deux dynamiques se croisent. Appropriation esthétique, intellectuelle et économique du patrimoine d’autrui, qui dans les villes du vainqueur, ses maisons, ses cercles savants et sur le marché de l’art acquiert une valeur et une vie propres, déconnectées des origines. Aliénation et déculturation intentionnelle des populations soumises, dont l’équilibre psychologique est brisé, parfois définitivement, par le départ d’objets-repères transmis de génération en génération. Il y a deux mille ans et deux siècles, l’historien grec Polybe posait les fondements d’une théorie politique des captations patrimoniales. Lui-même otage politique à Rome pendant plus de quinze ans, il décrit la double peine que le vainqueur inflige au vaincu en le privant non seulement de son patrimoine culturel, mais en l’invitant qui plus est à admirer dans ses villes le spectacle humiliant de ses dépouilles dépaysées. De tels spectacles excitent la colère et la haine des victimes, avertit Polybe, qui exhorte les vainqueurs du futur à «ne pas faire des calamités d’autrui l’ornement de leur patrie. »
Autour de 1800, lorsque la France révolutionnaire et impériale rêve de transformer Paris en « capitale de l’univers » et d’y centraliser les trésors artistiques conquis par ses armées dans l’Europe entière, le juriste et philosophe allemand Carl Heinrich Heydenreich dénonce un « crime contre l’humanité » (Verbrechen gegen die Menschheit). Il déconstruit la rhétorique du vainqueur qui, faisant mine d’être guidé par « les mœurs les plus douces » en s’intéressant à la culture du vaincu, transforme en fait sa victime en « chose » (Ding), la prive des nourritures spirituelles qui fondent son humanité et lui adresse pour ainsi dire ce « verdict barbare » : « Qu’il te soit plus difficile, à l’avenir, de t’instruire et de te cultiver ! Que l’on arrache au génie et au goût de tes plus nobles fils les modèles qui pourraient les conduire à l’immortalité, que les belles choses de l’art, qui diffusent entre les nations des sentiments aimables et humains soient soustraites de vos regards à tout jamais ! » L’extraction et la privation de biens culturels n’engagent pas seulement les générations qui les pratiquent et les subissent. Elles s’inscrivent dans la longue durée des sociétés, conditionnent l’épanouissement des unes et l’étiolement des autres. En temps de guerre, de conquêtes ou d’occupation elles sont – comme le viol, la prise d’otages, l’emprisonnement ou la déportation d’intellectuels – des instruments de déshumanisation de l’ennemi.
En ce sens – c’est ce que suggèrent les débats anciens – les annexions patrimoniales, parce qu’elles affectent l’individu et le groupe dans ce qui fonde leur humanité (spiritualité, créativité, transmission), relèvent d’une catégorie à part : celle d’actes transgressifs, qu’aucun dispositif juridique, administratif, culturel ou économique ne saurait légitimer.
Rapport Sarr/Savoy : "Restituer le patrimoine africain : vers une nouvelle éthique relationnelle, 23/11/2018
Pour aller plus loin
Télécharger l'intégralité du Rapport Sarr/Savoy sur la restitution du Patrimoine africain
https://bj.ambafrance.org/Telecharger-l-integralite-du-Rapport-Sarr-Savoy-sur-la-restitution-du
Restituer le patrimoine africain : vers une nouvelle éthique relationnelle, B. SAVOY et F. SARR
Pour moi, le postcolonial commence en 1955, à Bandung, avec la Conférence des pays non-engagés se voulant neutres par rapport aux deux blocs. Il y a là un événement qui est une affirmation politique, mais d’abord culturelle et historique. On se réapproprie son histoire. On reprend le droit de parler pour soi, et soi-même de ne pas parler en aligné. Et puis, avec cette liberté et ce droit de parole retrouvés, on se donne le devoir et le projet de redevenir présent sur la scène mondiale. On accède à la possibilité d’intervenir directement dans la construction de l’actuel.
Vers l'orientation : Les métiers de la conservation du patrimoine
conservateur du patrimoine - conservatrice du patrimoine
Peintures de la Renaissance, objets préhistoriques, sculptures de l'Antiquité, châteaux médiévaux, églises gothiques, archives : autant de trésors que le conservateur du patrimoine côtoie t...
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