Explication de texte dirigée : MONTESQUIEU, De l'esprit des lois (1748)
Publié le 17 Décembre 2022
Hong Kong, Novembre 2022. Les manifestants brandissent des feuilles blanches en guise de pancartes pour protester contre la politique anti Covid du gouvernement chinois.
Il est vrai que, dans les démocraties, le peuple paraît faire ce qu’il veut : mais la liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut. Dans un Etat, c’est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir.
Il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance, et ce que c’est que la liberté. La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent : et, si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir.
La démocratie et l’aristocratie ne sont pas des états libres par leur nature. La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. Mais elle n’est pas toujours dans les Etats modérés. Elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir : mais c’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le dirait ! La vertu même a besoin de limites.
Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. Une Constitution peut être telle, que personne ne sera contraint de faire les choses auxquelles la loi ne l’oblige pas, et à ne point faire celles que la loi lui permet.
MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, 1748
Vous porterez une attention particulière aux question posées au texte : pour apprendre à faire une explication détaillée d'un texte philosophique, il faut d'abord apprendre à questionner un texte et questionner également les intentions de l'auteur.
Il faut travailler la rédaction au brouillon afin de vérifier que l'explication suit l'ordre d'exposition du texte. Veuillez à indiquer toujours quel passage vous expliquez afin que le lecteur sache exactement où vous en êtes du texte; pensez à mettre des guillemets " ..." lorsque vous citez le texte.
Même s'il s'agit d'expliquer le texte phrase par phrase vous devez avoir toujours sous les yeux ou en tête (sous les yeux c'est mieux :-) ) l'ensemble du texte, car chaque phrase ne prend son sens que par rapport à l'ensemble du texte. C'est dans le texte que se trouvent les réponses aux questions que l'on se pose.
I. Première lecture du texte
Je dégage le thème, le problème, la thèse et le plan du texte.
Il s'agit d'avoir une vue d'ensemble du texte. Pour l'instant ce n'est qu'une première hypothèse de lecture que je vérifie ensuite par une explication rigoureuse et détaillée du texte.
II. Explication détaillée du texte
L'explication suit strictement l'ordre d'exposition du texte. Elle est linéaire. Un texte de philosophie est une démonstration rigoureuse; il faut donc respecter l'ordre d'exposition des arguments de l'auteur ainsi que la logique de raisonnement. Attention de ne pas céder à la tentation de réécrire le texte.
Il y a trois écueils à éviter :
- Il faut éviter de paraphraser le texte, le répéter sans l'approfondir, dans ce cas l'explication reste très superficielle, et généralement le texte n'est pas compris.
- Il faut éviter de trahir ou de tordre le texte en lui faisant dire ce qu'il ne dit pas. C'est généralement ce qui se passe lorsque le texte vous donne à penser, dans ce cas vous n'exposez pas la pensée de l'auteur mais votre propre pensée.
- Vos connaissances sont au service du texte, ce n'est pas le texte qui est au service de vos connaissances.
Explication détaillée dirigée
Phrase 1 : « Il est vrai que, dans les démocraties, le peuple paraît faire ce qu’il veut : mais la liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut. »
- Quel est l’objet ou le thème de cette première phrase ?
- Comment est construite cette phrase ? Que souligne l’utilisation de la conjonction « mais » ?
- Quelle définition de la liberté reconnaissez vous dans cette première phrase ?
- Comment interpréter l’expression « il est vrai que … » ? Annonce-t-elle une proposition vraie ?
- Pourquoi Montesquieu a-t-il écrit : « le peuple paraît faire ce qu’il veut » et n’a-t-il pas écrit « le peuple fait ce qu’il veut » ?
- Montesquieu est-il d'accord avec l'opinion commune qui voit dans la liberté le pouvoir de faire ce que l'on veut ?
Phrase 2 : "Dans un État, c’est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir. "
- Quel est le thème de cette deuxième phrase ? Est-il le même que celui de la phrase précédente ? Que peut-on en déduire en ce qui concerne la relation entre ces deux phrases ? Quelle est l’intention de l’auteur dans cette phrase ?
- Pourquoi Montesquieu prend-il la peine de définir ce qu’est un État ? Que peut-on en conclure généralement en ce qui concerne l’exercice de la liberté dans un État ?
- Analyser précisément la conclusion que Montesquieu tire alors :
► « la liberté consiste à … » : Qu’est-ce que cette formule annonce ?
● « la liberté ne peut consister qu’à faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir ».
► Quelle répétition relevez-vous dans cette proposition ?
► De quelle liberté est-il question ici ?
► Comment pouvez-vous utiliser le repère au programme contrainte/obligation pour expliquer cette phrase ?
Rappel : Une contrainte est une puissance qui s’impose à ma volonté et me porte à faire ce que je ne ferai pas de moi-même, volontairement. Elle s’oppose à la liberté de mon vouloir, à ma capacité de choisir ou de décider par moi-même. Une obligation est une loi ou une règle que je me donne à moi-même à laquelle je choisis d’obéir. Attention ce n’est pas nécessairement une règle purement personnelle qui n’appartiendrait qu’à moi, elle peut avoir une valeur universelle, c’est-à-dire s’appliquer à tous les membres d’une communauté comme le sont les lois morales ou juridiques.
► Comment Montesquieu définit-il la liberté politique ? Formulez cette définition sans paraphraser le texte .
Phrase 3 : " Il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance, et ce que c’est que la liberté. "
Dans cette phrase Montesquieu introduit une distinction entre deux termes :
- Lesquels
- Pourquoi l’auteur éprouve-t-il le besoin de faire cette distinction ?
- Qu’est-ce que « l’indépendance » pour Montesquieu ?
- Montesquieu introduit-il une nouvelle idée ? Quelle fonction à cette phrase ?
Phrase 4 : « La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent : et, si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même ce pouvoir ».
- « La liberté est … » : Qu’est-ce que cette expression indique ? Que fait Montesquieu dans cette phrase ?
- Pourquoi la première proposition « la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent » pourrait-elle paraitre contradictoire ou paradoxale pour l'opinion commune ?
- Cette nouvelle définition est-elle différente de celle posée à la deuxième phrase ? Pourquoi L’auteur éprouve-t-il le besoin de définir à nouveau la liberté ?
- Quelle est la fonction des deux points « : » dans cette phrase ?
● J'examine la deuxième partie de la phrase : « Si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de même de pouvoir ».
- Quelle hypothèse Montesquieu examine-t-il dans cette proposition ?
- Quelle conclusion l’opinion commune tirerait-elle de cette hypothèse ?
- Quelle conclusion tire Montesquieu ?
- Quel argument lui permet de justifier cette conclusion ?
► Quelle est la fonction de cette proposition par rapport à la proposition précédente ? ( Cette question reprend la question posée plus haut)
Ce nouveau paragraphe développe-t-il une thèse différente de celle contenue dans la première partie ? Que dois-je en déduire concernant la construction d’ensemble du texte ? Quel est la fonction du deuxième paragraphe ?
Phrase 5 : "La démocratie et l’aristocratie ne sont pas des états libres par leur nature."
- De quoi est-il question dans ce texte ? Quel est le point commun entre la démocratie et l’aristocratie ?
- Définir ce qu’est la démocratie (s'appuyer sur l'étymologie du mot peut être utile). Qu'elle est la nature ou le fondement de la démocratie ?
- Définir ce qu’est l’aristocratie (s'appuyer sur l'étymologie du mot peut être utile). Quelle est la nature ou le fondement de l'aristocratie ?
- On est face à une difficulté dans cette phrase : comment interpréter l’expression « des états libres » ? (Je dois faire très attention au fait qu’il n’y a pas de majuscule au mot « état ».)
► Comment peut-on expliquer le passage de la définition de la liberté en générale (les deux précédents paragraphes) à un examen de la démocratie et de l’aristocratie ? (Nous avons besoin de justifier le passage d’une partie à une autre et mettre à jour la logique d’ensemble du texte. Il faudra le faire avant de se lancer dans l'explication détaillée de cette phrase ).
Phrase 6 : « La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés. »
- Rappelez ce qu’est la liberté politique pour Montesquieu.
- Qu’est-ce qu’un « gouvernement modéré » ? ► Ici on est face à une difficulté de compréhension : le gouvernement désigne l’action de gouverner de diriger un État. En philosophie politique la question que l'on se pose généralement est : Qu'est-ce qu'un bon gouvernement ? Pour Montesquieu un bon gouvernement est un gouvernement "modéré", autrement dit bien gouverner cela signifie gouverner avec "modération". Tout le problème est de savoir en quoi consiste exactement cette « modération ». Pour l’instant il est difficile de répondre, on ne peut que s'interroger. La réponse sera donnée dans la phrase 8.
Phrase 7 : « Mais elle n’est pas toujours dans les États modérés. »
- Qu’est-ce qu’un « État modéré » ? A quels régimes politiques Montesquieu pense-t-il ici ?
- Pourquoi éprouve-t-il le besoin d’opposer (« mais ») « gouvernements modérés » et « États modérés » ? Quel rapport peut-on faire avec la phrase 5 ?
Phrase 8 : « Elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir : mais c’est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. »
- A quelle condition la liberté politique peut-elle se réaliser dans un État ? Sur quoi se fonde Montaigne pour établir les conditions de la liberté politique ?
- Est-ce facile d'établir la liberté politique dans un État ?
- « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». De qui est-il question dans cette phrase ?
- A quelles « limites » Montesquieu fait-il allusion ?
Phrase 9 : « Qui le dirait ! La vertu même a besoin de limites. »
● « Qui le dirait ! » : Comme on dirait, comme on le dit aussi …, comme le dit la sagesse populaire.
- Pourquoi « la vertu » a-t-elle besoin d’être limitée ou « modérée » ? Serait-il bon qu'un gouvernement soit trop vertueux ? Essayer de trouver un exemple.
Phrase 10 : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
► Pour comprendre la solution proposée par Montesquieu vous avez besoin du concept d’Etat de droit.
- Avons-nous-nous une nouvelle idée et donc une nouvelle partie ? Quelle est la relation entre cette phrase et celle qui précède ?
- « […] il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. ». De quelles « choses » s’agit-il ainsi ? De quels pouvoirs est-il question dans cette phrase ? A quels moyens concrets de limitation du pouvoir de ceux qui gouvernent, Montesquieu pense-t-il ici ?
Phrase 11 : « Une Constitution peut être telle, que personne ne sera contraint de faire les choses auxquelles la loi ne l’oblige pas, et à ne point faire celles que la loi lui permet. »
En conclusion que propose Montesquieu pour établir la liberté politique en France ? (il faut prendre en compte la date de la publication de ce texte)
L'explication de texte est suivie d'une discussion de la thèse du texte :
Nous avons vu avec Montaigne que seul le droit, par le biais de la Constitution, pouvait garantir dans un État la liberté politique, mais déclarer la liberté en droit suffit-il à réaliser la liberté en fait ?
je peux utiliser ici le repère en droit/ en fait pour construire mon argumentation.
III. la rédaction
Maintenant que j'ai terminé mon explication linéaire et détaillée du texte, je vérifie ma première hypothèse de lecture : thème, problème, thèse, plan du texte.
Je rédige l'introduction de mon explication :
Dans l'introduction, après une très brève amorce qui introduit mon propos (Dans ce texte extrait de L'esprit des lois publié en 1748, Montesquieu ...) , j'annonce (en respectant l'ordre donné) :
- le thème et le problème
- la thèse
- le plan du texte (en précisant le découpage du texte)
-je soulève une question posée par la thèse du texte, question qui ouvre une discussion.
Au propre mon travail s'organise ainsi :
- L'introduction
- L'explication de texte organisée en fonction du plan du texte (c'est à dire que la première partie de mon explication correspond à la première partie du texte, la deuxième partie de mon explication correspond à la deuxième partie du texte, ...etc.)
- une courte discussion en deux ou trois parties : A. Je rappelle la thèse du texte. B. J'expose le problème qu'elle soulève. C. Je tente de résoudre ce problème (si je le peux).
Remarque : le jour du baccalauréat, la discussion de la thèse n'est plus considérée comme absolument nécessaire. Mais tout au long de l'année il vaut mieux s'y astreindre cela permet de mobiliser ses connaissances.
- Une (courte) conclusion qui porte à la fois sur l'explication et la discussion.