Explication de texte dirigée : Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe (1949)

Publié le 20 Décembre 2022

[Photographie Dorothy 0'Connor, 2022]

[Photographie Dorothy 0'Connor, 2022]

L’art, la littérature, la philosophie sont des tentatives pour fonder à neuf le monde sur une liberté humaine : celle du créateur ; il faut d’abord se poser sans équivoque comme une liberté pour nourrir pareil prétention. Les restrictions que l’éducation et la coutume imposent à la femme limitent sa prise sur l’univers ; quand le combat pour prendre place dans ce monde est trop rude, il ne peut être question de s’en arracher ; or il faut d’abord en émerger dans une souveraine solitude, si l’on veut tenter de s’en ressaisir : ce qui manque d’abord à la femme, c’est de faire dans l’angoisse et l’orgueil l’apprentissage de son délaissement et de sa transcendance.

« Ce que j’envie, écrit Marie Bashkirtseff, c’est la liberté de se promener toute seule, d’aller et venir, de s’asseoir sur les bancs du jardin des Tuileries. Voilà la liberté sans laquelle on ne peut pas devenir un vrai artiste. Vous croyez que l’on profite de ce qu’on voit quand on est accompagné ou quand, pour aller au Louvre, il faut attendre sa voiture, sa demoiselle de compagnie, sa famille ! … Voilà la liberté qui manque, et sans laquelle on peut arriver sérieusement à être quelque chose. La pensée est enchaînée par suite de cette gêne stupide et incessante… Cela suffit pour que les ailes tombent. C’est une des grandes raisons pour lesquelles il n’y a pas d’artistes femmes. »

En effet, pour devenir un créateur, il ne suffit pas de se cultiver, c’est-à-dire d’intégrer dans sa vie des spectacles, des connaissances ; il faut que la culture soit appréhendée à travers le libre mouvement d’une transcendance ; il faut que l’esprit avec toutes ses richesses se jette vers un ciel vide qu’il lui appartient de peupler ; mais si mille liens ténus le rattachent à la terre, son élan est brisé.

Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, 1949

 

 

 

I. Première lecture du texte

Je dégage le thème, le problème, la thèse et le plan du texte.

Il s'agit d'avoir une vue d'ensemble du texte. Pour l'instant ce n'est qu'une première hypothèse de lecture que je vérifie ensuite par une explication rigoureuse et détaillée du texte.

II. Explication détaillée du texte

 

L'explication suit strictement l'ordre d'exposition du texte. Elle est linéaire. Un texte de philosophie est une démonstration rigoureuse; il faut donc respecter l'ordre d'exposition des arguments de l'auteur ainsi que la logique de raisonnement. Attention de ne pas céder à la tentation de réécrire le texte.

Il y a trois écueils à éviter :

- Il faut éviter de paraphraser le texte, le répéter sans l'approfondir, dans ce cas l'explication reste très superficielle, et généralement le texte n'est pas compris.

- Il faut éviter de trahir ou de tordre le texte en lui faisant dire ce qu'il ne dit pas. C'est généralement ce qui se passe lorsque le texte vous donne à penser, dans ce cas vous n'exposez pas la pensée de l'auteur mais votre propre pensée.

- Vos connaissances sont au service du texte, ce n'est pas le texte qui est au service de vos connaissances.

 

Explication détaillée dirigée

 

Phrase 1 : « L’art, la littérature, la philosophie sont des tentatives pour fonder à neuf le monde sur une liberté humaine : celle du créateur ; il faut d’abord se poser sans équivoque comme une liberté pour nourrir pareil prétention. »

  • Quel est le thème général de cette phrase ? Quel est le point commun de « l’art, la littérature, [et] la philosophie » ?
  • Quelle est l’intention de l’auteur ? (Repérer la construction de la phrase : « l’art, la littérature, la philosophie sont …)
  • L’artiste, l’écrivain et le philosophe ne créent pas le monde de toute pièce. Ils arrivent dans une réalité qui est déjà là. Que signifie alors « créer » (« fonder à neuf le monde sur une liberté humaine ») ?
  • Quelle est la condition nécessaire à la « création » artistique, littéraire ou philosophique ?
  • Le mot « liberté » est répété deux fois dans cette phrase. Pourquoi ? Quel sens doit-on lui donner ?
  • Une définition se veut objective et universelle, autrement dit « vraie ». Quelle fonction ou quelle valeur a cette première phrase dans le texte ?

Phrase 2 : « Les restrictions que l’éducation et la coutume imposent à la femme limitent sa prise sur l’univers ; quand le combat pour prendre place dans ce monde est trop rude, il ne peut être question de s’en arracher ; or il faut d’abord en émerger dans une souveraine solitude, si l’on veut tenter de s’en ressaisir : ce qui manque d’abord à la femme, c’est de faire dans l’angoisse et l’orgueil l’apprentissage de son délaissement et de sa transcendance. »

Cette deuxième phrase est très longue. Nous allons être obligés de la diviser pour l’expliquer mais en veillant à garder en tête le mouvement d’ensemble du texte.

  • Quelle relation logique ou quelle conjonction de coordination de coordination (mais, ou, et, donc, or, ni, car) pourrait relier cette phrase à la phrase précédente ?

► « Les restrictions que l’éducation et la coutume imposent à la femme limitent sa prise sur l’univers ; »

  • De quoi est-il question dans cette proposition ? S’agit, comme dans la phrase précédente, d’une proposition universelle, générale ?
  • « … limite sa prise sur l’univers » : de quelle liberté est privée la femme dans cette phrase ? Concrètement comment cette limitation se manifeste-t-elle en France dans les années 1950 ?

► « quand le combat pour prendre place dans ce monde est trop rude, il ne peut être question de s’en arracher ; »

  • Pour comprendre le sens de cette proposition, il faut la mettre en relation avec la première phrase : Comment l’individu (la femme) peut-il s’arracher du monde ordinaire, quotidien ?

► « or il faut d’abord en émerger dans une souveraine solitude, si l’on veut tenter de s’en ressaisir : ce qui manque d’abord à la femme, c’est de faire dans l’angoisse et l’orgueil l’apprentissage de son délaissement et de sa transcendance. »

  • Quelle est la condition nécessaire à cet « arrachement » au monde ordinaire qui aliène la femme ?
  • Quel sens doit-on donner ici à l’adjectif « souveraine » ?
  • Quel sens ont les « : » dans cette proposition ?
  • Orgueil, apprentissage, délaissement, transcendance : il faut commenter chaque terme et montrer à quoi ils s’opposent dans la réalité quotidienne de la femme.

 

Phrase 3 : « Ce que j’envie, écrit Marie Bashkirtseff, c’est la liberté de se promener toute seule, d’aller et venir, de s’asseoir sur les bancs du jardin des Tuileries. »

  • De quoi est composé le deuxième paragraphe du texte ? Quelle est la fonction de ce deuxième paragraphe dans le texte ?
  • A quelle liberté Marie Bashkirtseff fait allusion ?
  • Pourquoi choisir l’exemple de la promenade ?
  • A quel passage ou terme de la phrase 2 pouvez-vous relier cette proposition ?

Phrase 4 : « Voilà la liberté sans laquelle on ne peut pas devenir un vrai artiste. »

Quelle est la condition nécessaire à la création artistique ?

Phrase 5 : « Vous croyez que l’on profite de ce qu’on voit quand on est accompagné ou quand, pour aller au Louvre, il faut attendre sa voiture, sa demoiselle de compagnie, sa famille ! … »

Que décrit cette phrase ? A quel passage ou terme de la phrase 2 pouvez-vous rattacher cette proposition ?  

Phrase 6 : « Voilà la liberté qui manque, et sans laquelle on peut arriver sérieusement à être quelque chose. »

  • A quelle liberté fait-elle allusion ici ?
  • Si la femme ne peut « être quelque chose » dans sa vie quotidienne, qu’est-ce qu’elle est ?
  • Pourquoi Marie Bashkirtseff utilise-t-elle l’adverbe « sérieusement » ?

Phrase 7 : « La pensée est enchaînée par suite de cette gêne stupide et incessante… »

  • Quelle conséquence à la privation de la « liberté » (sens à préciser) ?
  • Comment se manifeste une « pensée enchaînée » ?

Phrase 8 : « Cela suffit pour que les ailes tombent. »

  • Expliquez le sens de la métaphore en vous référant explicitement au texte. Pourquoi choisir l'image de l'oiseau ?

Phrase 9 : « C’est une des grandes raisons pour lesquelles il n’y a pas d’artistes femmes. »

  • Quelle est la fonction de cette phrase dans le texte ?
  • Pourquoi n’y a-t-il pas selon M. Bashkirtseff de grandes artistes femmes ?
  • Quel lien M. Bashkirtseff fait-elle entre liberté de mouvement, liberté de pensée et création ?

► Comment cette citation de Marie Bashkirtseff illustre-t-elle la thèse Simone de Beauvoir exposée dans le premier paragraphe ?

Phrase 10 : « En effet, pour devenir un créateur, il ne suffit pas de se cultiver, c’est-à-dire d’intégrer dans sa vie des spectacles, des connaissances ; il faut que la culture soit appréhendée à travers le libre mouvement d’une transcendance ; il faut que l’esprit avec toutes ses richesses se jette vers un ciel vide qu’il lui appartient de peupler ; mais si mille liens ténus le rattachent à la terre, son élan est brisé. »

Pour comprendre cette dernière phrase, il faut faire explicitement le lien avec ce qui a été posé par Simone Beauvoir dans le premier paragraphe.

  • Qu’indique l’expression « en effet » ?
  • Pourquoi se cultiver ne suffit-il pas à devenir créateur ?
  • Comment comprendre dans cette phrase « le libre mouvement d’une transcendance » ? Qui se « transcende » ici ? Quelle signification à la liberté ?

► « il faut que l’esprit avec toutes ses richesses se jette vers un ciel vide qu’il lui appartient de peupler »

Simone de Beauvoir ne procède pas par empilement d’idées. L’ordre de ses proposition suit une logique précise. Quelle relation cette proposition a-t-elle avec ce qui précède ? A quelle passage du premier paragraphe pouvons-nous relier cette idée ?

► « mais si mille liens ténus le rattachent à la terre, son élan est brisé. »

Qu’est-ce qui fait obstacle à la « libération » (sens à préciser) de la femme ? Est-il facile pour les femmes de se libérer ?  

L'explication de texte est suivie d'une discussion de la thèse du texte : on pourra par exemple s'interroger sur l'actualité de ce texte en 2022. Quelle est aujourd'hui la place des femmes dans l'art, la littérature et la philosophie.

 

 

III. la rédaction

 

Maintenant que j'ai terminé mon explication linéaire et détaillée du texte, je vérifie ma première hypothèse de lecture : thème, problème, thèse, plan du texte.

Je rédige l'introduction de mon explication :

Dans l'introduction, après une très brève amorce qui introduit mon propos (Dans ce texte extrait de L'esprit des lois publié en 1748, Montesquieu ...) , j'annonce (en respectant l'ordre donné) :

- le thème  et le problème

- la thèse

- le plan du texte (en précisant le découpage du texte)

-je soulève une question posée par la thèse du texte, question qui ouvre une discussion.

 

Au propre mon travail s'organise ainsi :

- L'introduction

- L'explication de texte organisée en fonction du plan du texte (c'est à dire que la première partie de mon explication correspond à la première partie du texte, la deuxième partie de mon explication correspond à la deuxième partie du texte, ...etc.)

- une courte discussion en deux ou trois parties : A. Je rappelle la thèse du texte. B. J'expose le problème qu'elle soulève. C. Je tente de résoudre ce problème (si je le peux).

Remarque : le jour du baccalauréat, la discussion de la thèse n'est plus considérée comme absolument nécessaire. Mais tout au long de l'année il vaut mieux s'y astreindre cela permet de mobiliser ses connaissances.  

- Une (courte) conclusion qui porte à la fois sur l'explication et la discussion

Rédigé par A. L

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