COURS : la connaissance (4) : Nietzsche et le problème de la vérité (introduction)

Publié le 5 Janvier 2013

 

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Nous reviendrons dans le détail sur la critique de Nietzsche dans l'analyse détaillé du "Crépuscule des idoles". Pour l'instant, il s'agit que de reprendre ce qui  été rapidement présenté en cours, dans le contexte de la préparation de la dissertation "doit-on rechercher la vérité" ?

 

1. La vie comme  volonté de puissance

Le concept de volonté de puissance est le concept central de la pensée de Nietzsche.

Reprenant la thèse de Schopenhauer, il la conçoit comme "le moteur de l'univers", comme une "force à la fois créatrice et destructrice", qui meut sans but, un univers fermé et éternel dans lequel tout se modifie sans cesse sous l'effet de cette force, en effectuant des cycles (thèse de l'Eternel retour). Ainsi tout état de cet univers revient-il périodiquement.

 

Cette force est essentiellement une irrésistible poussée de "domination" (au sens de désir de réalisation, d'affirmation), conduisant tout être à s'enrichir par des créations nouvelles qui détruisent en même temps d'autres êtres.

 

2. La vérité comme illusion.

 

- Cette description de l'univers est en totale opposition avec les théories distinguant un monde vrai et un monde apparent (cf. Platon).

- Si tout est éternel et retour du même, si l'univers est absurde, alors ce monde dépourvu de sens peut-être interprété d'une infinité de façons. Nietzsche critique la conception platonicienne posant l'existence d'un "monde vrai ", d'un autre monde qui serait  plus réel et plus vrai que le nôtre, monde qui se situerait au-delà des apparences phénoménales. Un monde que le poète Yves Bonnefoy (né en 1923) qualifie "d'arrière-monde".


La spécificité de la démarche de Nietzsche n'est pas de se demander «Qu'est-ce que...», autrement dit  «qu'est-ce que la vérité ? »  comme le fait la philosophie classique, mais «qui ?» : «Qui a besoin de l'idée d'une vérité éternelle et absolue?»  Ce besoin d'un "arrière-monde" nous dit Nietzsche remonte à Socrate et à la philosophie platonicienne (cf. Le crépuscule des idoles : "le problème de Socrate").

Ceux qui ont besoin de ce type de valeur illusoire, ce sont le philosophe métaphysicien et l'homme religieux qui se sont donnés des dieux source de toute vérité. Ils ont inventé par lassitude de vivre et par souffrance un "arrière-monde" plus vrai, meilleur que le nôtre, du fait de leur incapacité d'agir et de créer dans le monde dans lequel nous vivons des valeurs au service de la vie.

 

Nietzsche opére donc une critique de toutes les valeurs qui fondent notre tradition culturelle occidentale (valeurs qu'il compare à des "idoles", c'est-à-dire à des faux dieux). Non seulement il rejette l'idée métaphysique de l'Être et de la vérité, mais aussi celle de l'existence d'un Cogito tout puissant qui serait le substrat ou le support de cette conception métaphysique du réel et de la vérité.

 

Texte 

"  Hélas, mes frères, ce dieu que j'ai créé était oeuvre faite de humaine et folie humaine comme sont tous les dieux.

 

    Il n'était qu'homme pauvre fragment d'un homme et d'un "moi" : il sortit de mes propres cendres et de mon propre brasier, ce fantôme, et vraiment, il ne me vint pas de l'au-delà ! [...] 

  Maintenant croire à de pareils fantômes, ce serait là pour moi une souffrance et une humiliation. C'est ainsi que je parle aux hallucinés de l'arrière-monde¹.

   Souffrance et impuissnce, voilà ce qui créa les arrière-mondes, et cette courte folie du bonheur que seul connaît celui qui souffre le plus. La fatigue qui d'un seul bond, veut aller jusqu'à l'extrême, d'un bond mortel, cette fatigue pauvre et ignorante qui ne veut même plus vouloir : c'est elle qui crée tous les dieux et tous les arrière-mondes".

 

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra

 

Note 1 : "hallucinés de l'arrière-monde" : ceux qui posent un monde idéal au-delà de notre monde empirique (Platon, Descartes....).

 

 

3. Le langage nous induit en erreur et génère des illusions

Derrière les illusions et les erreurs de la conception métaphysique du vrai, Nietzsche débusque les pièges du langage.

Pendant longtemps les hommes ont pensé que le langage dévoilait l'essence même du réel. Or pour Nietzsche les mots  sont davantage des instruments d'action, que de connaissance.

 

4. La science est un vestige de nos illusions religieuses

Cependant, il ne se limite à faire le procès du langage, il fait surtout celui de la science qui est pour lui un vestige de nos illusions métaphysiques. La science n'est qu'une interprétation du monde, la "plus stupide" nous dit Nietzsche.

Dans le paragraphe 24 de la "Troisième dissertation" de la Généalogie de la morale, Nietzsche démontre le socle religieux sur lequel repose l'édifice de la science rationnelle.

 

Texte

C'est encore et toujours sur une croyance métaphysique que repose notre croyance en la science, - nous autres qui cherchons aujourd'hui la connaissance , nous autres sans-dieu et antimétaphysiciens, nous puisons encore notre feu à l'incendie qu'une croyance millénaire a enflammé, cette croyance chrétienne qui était aussi celle de Platon, que Dieu est la vérité et que la vérité est divine...

Mais quoi, si cela même se discrédite de plus en plus, si rien ne se révèle plus comme divin, sinon l'erreur, l'aveuglement, le mensonge - si Dieu même se révèle comme notre plus durable mensonge ?- Ici, il convient de s'arrêter et de bien réfléchir. La science elle-même a désormais besoin d'une justification (par quoi il n'est pas encore dit qu'elle en possède une) . Consultez à ce propos les philosophies les plus anciennes et les plus récentes : aucune n'a conscience que la volonté de vérité elle-même a besoin d'une justification. C'est là une lacune de toute philosophie - D'où vient cela ? Du fait que jusqu'ici l'idéal ascétique¹ a dominé toutes les philosophies, du fait que la vérité était posée comme Être, comme Dieu, comme instance suprême, du fait que la vérité ne devit aucunement être un problème. Comprend-on ce "devait" ? Dès qu'est nié la croyance dans le Dieu de l'idéal ascétique, se pose un nouveau problème : celui de la valeur de la vérité. "

 

Note 1 : Idéal ascétique : idéal de renoncement au désir incarné par la religion chrétienne (ascèse : ensemble d'exercices qui, en méprisant le corps, tendent à affranchir l'esprit)

 

En résumé

Si en suivant la méthode de Nietzsche nous posons la question  « qui veut la vérité ?» ou « d'où vient notre croyance en la vérité ? » 

Notre croyance en la vérité est métaphysique : la vérité est "divine", autrement dit, la vérité a une valeur religieuse. Mais "Dieu est mort" nous dit Nietzsche, et la vérité ne peut plus avoir d'origine divine, il lui faut une autre fondation. Pour l'instant nous n'avons rien d'autre à proposer aussi nous maintenons cette illusion moribonde.

 

  3. L'irrationnalité du monde

Puisque le monde résulte d'un vouloir absurde, le réel dans sa complexité est fondamentalement irrationnel.

Contrairement à ce que pensait la philosophie classique de Descartes à Hegel (XIX°) siècle pour lesquels  la raison ordonne le réel, pour Nietzsche la raison n'est pas entièrement "sensée", comme le monde n'est pas non plus conforme aux "normes rationnelles". Rien dans le monde n'obéit à une rationalité éternelle.

rationnel : conforme aux exigences de la raison, raison qui est généralement conçue comme une faculté, universelle,  éternelle, absolue.

La question qui se pose alors est de savoir si le monde a encore un sens ?

Critiquer l'idolâtrie de la science qui n'est pour Nietzsche qu'un préjugé qui limite notre point de vue, ce n'est pas renoncer à toute connaissance du monde. Au contraire, c'est ouvrir de nouvelles perspectives. La chute des idoles ou le renversement des valeurs opéré par Nietzsche, nous  permet non seulement de reconquérir l'infinité du monde, mais aussi de nous réapproprier l'infinité des interprétations du monde. Dans cette conception Nietzsche réhabilite la fonction de l'art qui est pour lui, par essence, l'affirmation même de l'existence.

 

 

 

 

mots clés : volonté de puissance, éternel retour, arrière-monde, idéal ascétique, vérité

Rédigé par Aline Louangvannasy

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U
Bonjour madame. J'ai l'impression que vous caricatures Platon, ce qui peut certes servir aux élèves à avoir l'impression de bien faire, mais n'est pas conforme avec l'exigence de transmission du savoir qui est la nôtre. Ce qui, chez lui, est absolu est l'Idée du Bien; or, il n'est pas vérité mais source de vérité, pas réalité mais source de réalité, et bien qu'il soit nécessairement vérité absolue et réalité absolue, il ne vaut que par son engendrement, donc parce qu'il donne à connaître le multiple. Le problème de l'un et du multiple a toujours obsédé Platon, étant l’héritier de Parménide et d'Héraclite. Vouloir forcer son premier trait, c'est oublier que son problème a toujours été de penser la différence, l'étrangeté, la multiplicité (ce qu'il appellera, dans le Sophiste, l'Autre)
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L
Seulement, chez Platon, il me semble que les Idées transcendantes, détachées du monde sensible, possèdent plus de vérité que les choses sensibles elles-mêmes ; l'Idée du lit a plus de vérité que le lit de l'artisan, qui a plus de vérité que le lit de l'artiste etc... c'est donc l'essence, qui est un foyer de vérité à partir duquel se déclinent des modalités particulières (comme le lit de l'artisan) qui est le véritable objet de connaissance. Autrement dit, la diversité, la multiplicité du réel n'intéressent pas Platon qui privilégie "l'arrière-monde" dont parle Nietzsche, cet arrière-monde qu'il combat en faveur de la réalité du monde sensible. <br /> Levinas s'est aussi intéressé à l'Etre chez Platon, qu'il assimile au Même. Alors que chez Platon, l'Etre est synonyme du Bien, et que le moindre-être, le non-être, sont gages du Mal, Levinas renverse cette position en affirmant que l'Etre étant couplé au Même, la question de l'être se détourne de la question de l'Autre et donc de laquestion éthique, que chaque visage détient, que chaque visage affirme et porte en soi. L'Etre est donc le mal chez Levinas. A l'Etre et au Même, il oppose l'infini et l'Autre, ainsi que l'éthique, qui est selon lui la philosophie première (avant la philosophie métaphysique).
P
je vous remercie de votre remarque très intéressante et très constructive.
M
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